Le camping des flots bleus.
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Un an d’efforts, quelques semaines de vacances seulement, tout ça pour revenir au même endroit chaque année… ça paraît con, hein ? Mais c’est comme ça, et je suis aussi heureux que Jacky Pic quand je pose ma caravane sur mon île, parce que c’est mon île à moi… T’as vu maman, on a mis 6h17 pour monter, comme l’année dernière ! Non, en fait on a mis 48 heures, histoire de s’arrêter chaque soir dans un nid pour y poser notre oisillon. Chez d’adorables potes en Normandie, puis au bord de l’autoroute, au milieu de la nuit et de l’Angleterre. A part il y a un an, je n’ai jamais aussi peu parlé en voiture. Parce que je flippe. J’ai peur de me retrouver en carafe au bord de la route et de voir s’échapper nos bateaux, nos vacances, et tout le toutim. Parce que ce rocher tout paumé, j y ai pensé toute cette année, et particulièrement fort. 2014 fut particulièrement merveilleux juste exprès, je pense, pour que je trouve ce début 2015 bien pourri. Je passe volontiers ces moments dégueulasses, où j’ai perdu, en même temps que le sommeil, foi en pas mal de choses, pour saluer et remercier les mains qui se sont tendues de façon aussi inattendues. Des coups de fils, des mails, du matériel… Et cette île, comme un rayon de soleil perçant le brouillard, accompagnée de mes quatre yeux bleus pour éviter de foutre le feu.
Ça sent ni la merguez, ni l’espadrille, ni l’anisette. C’est un camping sans emplacement ombragé, parce qu’il n y en a pas besoin. Je t’avoue que ça pue un peu la sueur quand même, mais une sueur renfermée par des heures de routes, salée par l’eau des mers traversées. Fatiguée par une année de travail et des heures à remonter nos trapanelles les week-ends, la nuit si besoin, on est loin des standards de pilotes sportifs en pleine forme des magazines. Pour être honnête, mon futal raconte tout mon voyage, depuis le litron de gazole pris sur les godasses en faisant le plein jusqu’au cambouis de la couronne démontée à l’instant. Mais je m’en fous, les voisins sont pires. Y en a même qui bat tous les records. En me levant ce matin, j’ai aperçu son vieux combi Mitsubishi, blanc sale, orange dégueu et noir délavé, perché sur deux cales et un vérin. Un mec est assis en tailleur en dessous, sur un chouette tapis tout aussi pourri, les arbres à cames d’un coté, les outils de l’autre, lui raclant sa culasse 8 soupapes à coup de spatule métallique, bien à l’ombre du ciel tout gris… Il a du faire un joint de culasse en venant ici, et il à l’air bien décidé à rentrer chez lui, le garçon…
Nous, on habite dans le petit village Gaulois. Trois pilotes français, des bécanes, des tentes et des potes un peu dans tous les sens, un joyeux bordel qui braille et lamine le gazon Anglais qui n’avait pas eu la chance apparemment de connaître Attila. Bonne ambiance, entraide, j’essaie de leur filer des conseils et tous les repères que j’ai sur ce circuit. Tours en camion, commentaires sur caméra embarquées… Je suis pourtant prêt à parier que Nico et Fred seront plus rapides que moi cette année, mais je m’en fous. Si je peux le dire quoi que ce soit qui puisse leur éviter un danger, je le fais, et de bon cœur. J’ai en mémoire la première reco l’année dernière avec Marc Dufour, l’arrivée à Braddan Bridge, et ces quelques mots : « C’est ici que s’est tué un français, Serge le Moël, deuxième virage du circuit, c’était son premier tour… on a même pas eu le temps de parler. »
Parce qu’ici, tu ne te bats pas contre les autres, mais avant tout contre toi-même. Le chrono met à sa place chaque personne, sans discussion. Alors être devant ou derrière tel ou tel mec, je m’en fous, je veux juste être à ma place, si possible le cul sur ma selle en train de faire du mieux que je peux, et en mettant sur la table ce que je m’étais promis de mettre, ni plus, ni moins. Essayer de rouler vite sans prendre plus de risques, sur cette montagne russe verdoyante, où la route t’est si intime que chaque morceau y porte un nom. Ginger Hall, Glen Traman, Black Dub, je suis revenu pour voir…"