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Billet d'humeur de Morgan Govignon.

Publié le par STEVEN

De haut en bas

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Ça a commencé mardi. De la pluie dès le matin, je n’avais du coup pas envie de rouler, un peu agacé de mon tour lundi soir. 21 min 04 sec, avec du trafic comme c’est pas permis, doublant 7 newcomers sur la première portion du circuit. Puis le soleil est venu, le vent a séché la piste, et je me suis finalement décidé à rouler. La piste presque pour moi, j’ai pu faire un nouveau flying lap en 20 min 14 sec, soit le temps de samedi soir mais cette fois en étant propre, et sans avoir eu l’impression de prendre d’énormes risques. Positif donc, au lendemain d’une énorme frayeur à Greeba Castle, et à la veille de la course Junior. Oui, Greeba Castle… Un gauche gauche-droit, où j’ai bien cru que l’histoire allait s’arrêter là. J’ai du rentrer un poil plus vite que d’habitude mais ça passait large, sauf qu’une petite bosse juste à l’entrée a comprimé ma suspension jusqu’en butée… ça a claqué jusque dans mes guidons. Je déteste ces moments, ces dixièmes où tu ne fais pas le con mais où tu pourrais aller t’écraser dans le mur d’en face à cause d’un coup de vent ou d’un minuscule défaut sur la route. Du coup, la séance de mardi fut parfaite pour me remettre la tête dans le bon sens.

Mercredi, course Junior à 10h15. Je suis prêt, en cuir, essayant de ne pas laisser paraître la tension qui monte gentiment avant ce début de course. Le ciel est gris, trop sombre. Le départ est décalé de 30 minutes, puis encore 30 minutes, puis de deux heures… J’attends là, enveloppé dans l’Alpinestar depuis 9h30 ce matin qu’on veuille bien me laisser partir, mais les conditions sur le circuit ne sont pas encore assez bonnes. Soit. 14 heures, enfin. On annonce une portion vraiment mouillée de Ramsey Hairpin jusqu’à Guthries, une course raccourcie à trois tours, allumez vos feu rouges, and have a safe race. L’homme tapeur d’épaule fait son boulot à merveille, comme toujours… Feu.

J’ai pas réussi à faire gueuler la moto au départ comme d’habitude, mais je suis quand même bien dedans. Je descends Bray Hill comme un skieur, tape trois petites roues arrière avant d’arriver à Quarter Bridge, fais super gaffe dans ce premier gauche avec les pneus refroidis par l’attente et le poids du plein dans le réservoir. Je soude, direction Braddan, et drapeau jaune, je dois couper… Putain ! Premier gauche du circuit, des commissaires qui s’agitent, deux traces blanches au sol qui partent en direction d’un gros coussin protégeant un mur. Dedans, un gars, une moto, et des petits bons hommes en chasuble orange qui s’agitent autour. J’ai du faire deux bornes… Et je remets gaz. Je déroule bien la leçon, m’applique, le pneu arrière neuf se cale bien sur toutes les accélérations, mange Glen Helen avec mes grandes dents d’affamés et arrive sur Sarah’s Cottage pour tomber à nouveau sur une flopée de drapeaux jaune. Je recoupe, partagé entre la haine de pourrir ce premier tour et la peur de ce que je vais voir là haut, dans ce droit qui se referme. En fait, j’ai rien vu, juste un marshall qui regardait en bas du ravin la moto et le pilote qui sont passés au travers du gros coussin rouge, qui a disparu lui aussi. Te déconcentre pas mon vieux Jeannot. Je file, je vole sur les bosses en pestant sous mon casque, je sens que je peux aller plus vite, mais il me manque un petit quelque chose dans ce premier tour. J’arrive dans le bosselé, après Ginger Hall, et les couleurs changent. Drapeaux jaune, rouge et jaune, c’est un festival de couleur avant d’aborder la section du K Tree… Des bouts de moto, de l’huile, un pilote… J’entre dans Ramsey, bientôt le calme dans la montagne. Mais arrivé à Hairpin le sol brille de flotte et je dois rendre la main. Il y a des traces d’eau jusqu’à Guthries, je hais la pluie, je hais le mouillé, promis je boirais toute l’eau que je peux si ça peut l’arrêter de tomber du ciel.

Deuxième tour, t’imagines pas comment je suis énervé. Alors je pousse, pousse, et pousse encore tout en étant super appliqué. Je le sens bien celui-là. Je reviens sur Scott Smyth, un anglais un peu cinglé mais sympa avec qui j’ai roulé aux essais le double en wheeling à Crosby Jump et fonce à travers les murs et la nature. Retour sur la ligne d’arrivée pour le ravitaillement, plutôt content de m’arrêter parce que je crève la soif et qu’une saloperie de tâche buée m’empêche de bien voir à droite. Les gars assurent, même si je mets un inutile coup de pression à Tibo qui nettoie les moustiques sur une visière que je voudrais ouvrir pour en chasser la buée. Je repars pour un dernier tour, oublie de caler la 6 avant Bray Hill avec cette ligne droite raccourcie, joue du rupteur et déroule la même partition qu’au passage précédant. Le tour est pas mal, mais encore un drapeau jaune avant d’arriver à Gooseneck. Là, c’est moins drôle, l’hélico est posé sur la grosse butte en terre du gauche qui le précède, un Gsxr bleu devant gisant sur un tarmac bruni par une terre qu’on vient juste de balayer.

Je file dans la montagne poursuivi par le numéro 46 que j’ai piqué à Ramsey et en termine avec la Junior. Content des deux derniers tours, mais agacé de ne pas avoir fait un meilleur chrono. 20 min 19 sec dans le tour 2 (où tu freines en pleine ligne droite pour rentrer aux stands), c’est quand même vachement bien vu les conditions du jour, mais j’en veux plus. Je rêve d’un tour tout seul, sous le soleil, et où tout le monde reste sur ses roues. Ce sera pour une autre fois, j’ai pour l’instant une superbe équipe avec qui me réjouir, et puis mes quatre yeux bleus qui m’attendent serrés l’une contre l’autre. Elles sont belles, et surtout elles sont là, avec moi. Je viens de finir un Manx, c’est chouette, ramène la 31ème place et une Replica, encore mieux, mais tout ce petit monde avec qui je partage ces 15 jours donne un goût bien meilleur à cette petite histoire. Qu’il est bon de faire ce qu’on aime avec des gens qu’on aime !

J’ai passé ma journée à monter et descendre dans l’ascenseur de mes émotions avec les départs décalés, les belles trajectoires, les mecs qui sont tombés. C’est hyper compliqué à gérer, et ça l’est tout autant le soir. On est allé à la remise des prix des Newcomer pour accompagner Nico qui a fait péter une belle 8ème place. Ça rigole, ça sourit, ça vient chercher sa médaille ou sa statuette, c’est chouette. Puis le directeur de course prend la parole, blablate un peu, cause toujours ma couille, puis sa voix devient plus grave, t’en as les poils qui se dressent tout seul. Et tout le monde se lève, plus un bruit dans une salle rempli de motards pourtant braillards, même les mouches ferment leurs gueules, et on écoute. On écoute ce putain de silence où on aimerait entendre la 600 CBR de Dennis Hoffer revenir de 13th milestone, mais rien, y a rien. Alors on se tait, immobiles, et quand on en a marre d’être tristes on applaudit pour éviter de chialer, pour éviter d’avoir à dire que c’est dégueu mais qu’on est quand même content de pouvoir encore applaudir. On applaudit des mains, des jambes et des yeux ce truc incroyable que nous vivons tous ensemble, qu’on sait pas raisonnable mais qui nous mange la tête chaque jour, chaque heure et chaque secondes que dieu n’a pas fait. Et la cérémonie reprend son cours…"


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©Alan Lygo

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