C'est l'histoire d'un gosse #3 et #4
Ca y est Morgan a effectué ses premiers tours de roue.....tout d'abord avec un travelliing marshals puis seul hier soir lors de ses premiers essais.
Il livre ses impressions.
Je me suis trompé de titre...
Je suis tout petit. Je suis minuscule. Et je me suis trompé de titre… Dans la journée, il y a toujours un moment où je pense à vous, à ce que je vais vous raconter. Là, j’avais trouvé un titre pour l’article, c’était « Maman, j’ai sauté à Ballaugh Bridge », en m’imaginant raconter à ma mère mon premier tour sur l’ile de Man. Je pensais que ce serait le fait marquant de ce tour « sous vitesse contrôlée », où on part par paquet de 7 derrière un ancien pilote pour découvrir le circuit. En fait, le vrai titre, c’est « Maman, j’ai coupé dans Sulby ». Sauf que Sulby est une ligne droite… Et j’ai coupé. Sous les arbres, à fond depuis plus d’un kilomètre, secoué comme un prunier, j’ai rendu la main parce que ça allait trop vite pour moi. Dans une ligne droite… Meeeeeeeerrrrrrdddeeeeeee !!!!!!!!!!!!
C’était pourtant déjà très riche en émotion avant de partir. Pimente qui fout les larmes aux yeux de Céline. Tibo et Jessy dans la ligne droite des stands sous les drapeaux qui flottent, et devant moi, la file de pilotes qui attendent, eux aussi, de « savoir ». Départ, tranquillement quand même, sur au moins… 300 mètres. Je déteste suivre, et mets une petite distance de sécurité avec le pilote devant. Immédiatement, deux pilotes me doublent pour être dans la roue du Marshall qui nous montre les trajectoires. Je laisse faire, et, progressivement, tout va vite, très vite, trop vite.
Devant, le Marshall est droit comme I sur son R1, enroule proprement les virages les uns après les autres. Derrière, j’en chie pour arriver à suivre, me fait décrocher, revient. Je suis en train de vivre l’expérience la plus dingue, la plus incroyable, la plus effrayante de ma vie. Vous pouvez penser que j’en fais des caisses, mais je vous jure qu’il n y a même pas de mot pour réussir à vous décrire ce que j’ai vécu pendant ces 24 minutes 30. Tout m’est passé par la tête, joie, adrénaline, déception, crainte, hallucination. Bref, même si j’ai sauté à Ballaugh Bridge comme prévu, j’ai aussi coupé dans la ligne droite de Sulby, parce que c’était trop vite, trop bosselé. Imaginez vous à 230 km/h dans un tunnel d’arbre et que la moto vous secoue comme un prunier…
Le Marshall a quand même eu la délicatesse de couper à certains endroits, histoire que tout le monde puisse le ramarrer. The Nook, Governor’s Bridge, et la ligne d’arrivée. Je garderais pour moi ce qui c’est passé sous mon casque à ce moment là.
J’ai fait mon tour sur l’ile de Man. Je pensais être le seul à avoir halluciné, mais heureusement non. Julien, notre référence en rallye, a aussi pris une claque, et je crois qu’on a tous bien mal à la joue…
En un tour, nous avons compris pourquoi ce tracé est légendaire : il n y a aucun autre endroit dans le monde où on à la possibilité de faire ça. « Faire ça », c’est rouler à des vitesses incroyables en se jetant dans des virages aveugles, juste parce qu’on sait que c’est là… Encore plus que la vitesse de ce premier tour, les possibilités que le circuit donne sont hors du commun. Rien que de l’imaginer donne froid dans le dos.
On est tous là, dans le paddock, entre français à se raconter « notre » tour. On en a tous rêvé, on s’est tous battu pour le faire, et on était tous à des lieues d’imaginer ce que ça pouvait être. On n’en revient toujours pas.
Du travail, du travail, et encore du travail. J’en arrive à cette seule et dernière conclusion. Pour réussir à refaire ce 24 min 30, qui me qualifierait uniquement pour la Newcomer, mais sans Marshall devant moi, je dois bosser. Pour rouler en sécurité, à défaut d’être vite même si tout va déjà très vite sur la moto, je dois savoir ou mettre les roues. Alors on remet la plaque sur la ZX6R, on barre les numéros 14, et je retourne bosser…
Et la lumière fut...
Première séance d’essais, seul. J’attendais et redoutais ce moment. La joue encore chaude de la baffe de samedi, je voulais savoir quel effet ça me ferait d’avoir la route pour moi tout seul, si la sensation d’être à une vitesse incroyable, voir trop vite, allait se reproduire. En fait, j’ai toujours détesté suivre, et souder derrière le Marshall sans vraiment savoir où je mettais les roues n’a pas été une partie de plaisir.
Au milieu des 500 Norton, Honda et Paton, je me faufile jusqu’au départ, qui se donne deux par deux. C’est à moi. La route est à moi. Et la magie opère… Je passe Bray Hill sur un gros filet, revient sur des classiques à Braddan Bridge, les double. Je me sens à l’aise, en train de réciter ma leçon mais manquant encore de certitudes. Le droite d’Appledene, Greeba Bridge, la 600 souffle dans les sous bois. Contrairement à toutes mes courses, je suis détendu, calme sur la moto, me forçant un peu pour ne pas oublier de respirer. Ça va vite. Je roule à ma main, enfile les virages tantôt à l’aise, tantôt méfiant dans ce que je connais qui mais qui ne me plaise pas. 13th Milestone, une petite pensée pour Santiago Herrero qui a laissé la vie ici. Je ressors pas trop mal, et me fait passer par une fusée blanche et bleue, sortie encore mieux : Julien Toniutti. Julien, c’est le mec qui sera tout le temps devant toi, mais que tu ne peux pas détester. Il va vite, il est propre, et en plus de te pourrir, il le fait avec classe, en étant dispo pour donner des conseils, et avec l’engouement du mec qui aime ce qu’il est en train de faire, qui vit lui aussi son rêve. Tu voudrais ne pas l’aimer pour te motiver à le pourrir, mais tu peux pas. Il va vite, il est cool, passionné, un mec bien, quoi…
Un autre français qui m’a marqué, c’est Fred Besnard. Humble, un brin timide, Fred a une fascination pour la course, une envie, à la fois de rouler vite et de se faire plaisir qui m’a scotché. Bon, peut-être un peu trop d’envie puisqu’il s’en mettra une petite à Sarah’s Cottage, mais qu’importe… Il va bien, et même s’il y a eu du jet de meule, la lumière dans ses yeux quand il te parle du tracé vaut toutes les guirlandes de noël…
Julien est donc devant, à l’entrée de Ramsey. Je ne cherche pas à le suivre, même si je le tiens à vue un bon petit moment. Il sait où il va... Je roule, et c’est juste fantastique. Petite chaleur à May Hill, puis la montagne, derrière un 500 Norton qui me montre les lignes, et l’arrivée, avec un sacré bordel de motos à Governor’s Bridge. Chutes, tout droit, casses, la Manx qui rate une vitesse à la sortie, et c’est la ligne d’arrivée. J’espère faire un 2ème tour, mais malheureusement le drapeau à damier tombe et je dois rentrer.
Un mal pour un bien, car la moto pisse la flotte. J’ai du prendre une pierre, et le radiateur est percé. Si je faisais ce 2ème tour, l’eau se serait vidée, et j’aurais pris le moteur dans les dents… Du bol !
Les deux billes effarées sous mon casque samedi ont laissé place à une banane indéboulonnable. Là, je me suis régalé, j’ai pris du plaisir, j’ai plané… C’était juste énorme. Avoir la liberté de faire ça, de rouler à des vitesses folles sur des routes sinueuses, dans des villages… Avoir cette sensation de contrôler, sentir la leçon en train de se dérouler, frôler un trottoir, faire un saut, un wheeling, tirer la 6ème à fond… C’était bon. Cerise sur le gateau, j’ai fait ce premier tour à 94,8 mph, soit 23min51sec, ce qui me qualifie pour la course de Newcomer, à la 30ème place sur 38… C’est très loin des chronos de devant, mais je m’en fout, car je ne pensais même pas que je réussirais à franchir cette première barre !
Conor Cummins, le Mannois le plus rapide du TT, a dit que l’ile de Man était comme une drogue… Samedi, j’ai pris un mauvais shoot, ou je n’ai peut être pas aimé la piqûre… Mais là, là… J’ai plané à 15 000…